Échos d'Évangile

La claque sur la gueule

Photo André Myre

Par André Myre

Échos d'Évangile

22 septembre 2021

Crédit photo : Dan Burton / Unsplash

Le texte qui suit est à la fois un des plus célèbres et un des plus méconnus des évangiles.  Pour l’interpréter, il faut partir du fait que Q l’a placé tout de suite après le passage sur l’amour des ennemis. Ce faisant, la Source le présente donc comme un exemple du comportement surprenant attendu des partisans de Jésus vis-à-vis de l’ennemi ou de l’adversaire.

 

Et, comme en témoignent les réactions que suscite la mention de ce passage, quiconque le lit ou en entend parler est transporté en dehors de sa zone de confort.

 

Q 6,29 On te frappe sur une joue ?

           Tends l’autre.

           On veut te faire un procès pour t’enlever ta chemise ?

           Laisse aller ton manteau.

           On t’oblige à parcourir un mille ?

           Fais-en deux.

 

Le verset illustre le comportement attendu des lecteurs ou lectrices de la Source à l’aide de trois exemples, tirés de trois contextes problématiques.  Les choses sont dites succinctement, mais il est implicitement entendu que le partisan ou la partisane visée se trouve dans une situation d’injustice.  Un geste physiquement violent vient d’être posé, alors qu’un coup a été porté à la face de la personne assaillie; un procès a été intenté avec une intention malveillante, et, en présence d’un juge complaisant, le plaignant se sert de la justice pour mettre l’accusé sur la paille; une armée en campagne réquisitionne un civil pour l’obliger à transporter le matériel nécessaire à la poursuite de ses activités(1).  Dans les trois cas, un être humain subit une violence morale ou physique.

 

Tendre l’autre joue

 

Et dans les trois, une réaction étonnante, imprévue, paradoxale est présentée : tendre l’autre joue; se départir d’une possession essentielle – le manteau qui empêche de mourir de froid – dont il n’est permis de dépouiller personne; et en faire davantage pour l’armée d’occupation que ce qui était exigé.  La parole est volontairement provocante, incongrue, et formulée comme une sorte de petites paraboles à déchiffrer. Or, ce qu’elle réclame de quiconque l’écoute, implicitement, c’est de ne jamais désespérer de la capacité de l’ennemi ou de l’adversaire de se conduire en être humain.  C’est ce qui signifie, pour la Source, l’appel à l’aimer.

Aussi, une piste d’action suggérée est-elle de le surprendre, de le déstabiliser, de le faire sortir de la bulle inhumaine dans laquelle il s’est installé pour qu’il se rende compte du triste personnage qu’il est en train de devenir. Ceci dit, l’évangile ne peut prévoir quel geste est requis dans telle ou telle circonstance, encore moins prédire que la prise de conscience espérée aura lieu.  La façon de faire s’invente sur le coup, en espérant pour le mieux.

 

«Il n’a pas pu la torturer ce jour-là»

 

Pour terminer, je me permets une illustration contemporaine. J’ai jadis assisté à une conférence prononcée par Guy Aurenche, présentement président d’honneur de la Fédération internationale de l’action des chrétiens pour l’abolition de la torture.  Au cours de son exposé, il raconta l’histoire d’une Latino-américaine qui, dans son pays, avait été systématiquement torturée.  Un jour, au cours d’une de ces séances, son tortionnaire s’impatienta : il fallait qu’elle parle, car lui était pressé, sa jeune fille était malade et il devait aller à son chevet. Le lendemain, quand il entra auprès d’elle pour faire son travail, elle lui demanda comment allait sa fille.  Le conférencier ajouta alors : «Il n’a pas pu la torturer ce jour-là.»

Je ne sais rien du monde intérieur de ces deux personnages. Mais, en écoutant ce récit, j’y ai aussitôt vu une magnifique actualisation de la parole sur «la claque sur la gueule».  La femme a traité son vis-à-vis comme un père inquiet, créant ainsi un contexte humain où le travail du tortionnaire apparaissait dégradant à ses propres yeux.  Comme le dit souvent l’évangile, «qui a des oreilles pour entendre entende».

Comme c’est souvent le cas dans la Source, la parole est formulée en dehors de tout contexte proprement religieux, et elle a simplement pour but d’humaniser le milieu dans lequel vivent les partisans de Jésus.  L’annonce par excellence du régime de Dieu n’est pas la parole sur Dieu, mais l’engagement visant l’existence harmonieuse d’une collectivité humaine sur son territoire.

 

Note :

 

1) La réquisition de Simon de Cyrène par les soldats romains chargés de l’exécution de Jésus, pour porter la partie transversale de la croix, est typique d’un contexte d’opération militaire (Mc 15,21).

 

7e texte de la série La Source des paroles de Jésus.

À PROPOS D’ANDRÉ MYRE

André est un bibliste reconnu, auteur des nombreux ouvrages, professeur retraité de l’Université de Montréal et spécialiste des Évangiles, particulièrement de celui de Marc. Depuis plusieurs années, il anime de nombreux ateliers bibliques.

 

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

 

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